S’il est un domaine où les imprécations, les affirmations péremptoires, les procès d’intention ou les politiques non financées sont légion, c’est bien celui de la « transition climatique ». On peut saluer la compétence et même le culot des lobbies qui ont su imposer les sujets, les justifier, les orienter, les remettre sur le tapis avec des angles nouveaux, établir des bilans ou lancer des avertissements. Le sujet et ses enjeux ne sont pas discutables. Mais, placés sur le terrain médiatique les alertes et les conclusions sont reprises dans un sens comme dans un autre sous la forme de slogans plus que de raisonnements. Les nécessités ne peuvent pas faire débat, mais l’arme de la peur sans doute sur-utilisée peut amener à des excès ou à des impasses. En matière d’impasses, il y en a une qui fait plus que planer : celle du financement. Et, en conséquence, les retombées économiques. De ce point de vue, la Première ministre française chargée « de la Planification écologique et énergétique » a donné des indications cette semaine
La politique de la peur a donné lieu à de nombreuses recherches ou interprétations théoriques. On cite souvent le philosophe anglais du XVIIème siècle Thomas Hobbes qui en fait en quelque sorte la base d’une vie sociale organisée. Machiavel affirmait 150 ans auparavant que « celui qui tient la peur des hommes devient le maître de leurs âmes. » Les engagements meurtriers dans les guerres ont bien démontré que la peur et la haine peuvent dépasser le sens commun ou celui de la vie. Chacun comprend bien les conséquences de l’accélération de la colonisation de la terre par les hommes. Ils étaient moins de 200.000 au début de notre ère, le milliard a été passé au tout début du XIXème siècle, les deux milliards entre les deux guerres mondiales. La progression depuis est quasi-exponentielle pour dépasser aujourd’hui 7,9 milliards. Personne ne peut imaginer que les autres espèces et les hommes eux-mêmes puissent vivre de la même façon qu’en 1960 (3 milliards), 1975 (4 milliards) ou même 1990 (5 milliards). Evidemment de nouveaux territoires, pas forcément accueillants ou habitables à 100 % à l’homme, sont conquis. Evidemment, des migrations massives vers les terres plus clémentes sont en marche. Evidemment enfin, malgré les progrès scientifiques, les règles de vie ne peuvent rester les mêmes. La terminologie de « Défense de la planète » est bien sûr absurde. Tant que le soleil brillera, donc encore pour 5 milliards d’années, la planète Terre sera là. Sans doute sans Homo Sapiens d’ici là. Ce n’est pas la planète qui est en danger, ce sont les conditions de vie des êtres vivants qui l’occupent, hommes, animaux ou végétaux.
Cette colonisation de la terre a été permise, portée et amplifiée par les progrès scientifiques et techniques. Ils ont modifié la vie et le font encore tous les jours. La technique permet le nombre qui impose la technique et … impose des bouleversements. La question posée est vue depuis longtemps sur un registre qui se pare de plumes de la science, mais n’en suit pas les impératifs de rigueur. On se souvient des alarmes lancées par le Club de Rome en 1972, annonçant sur la fin du pétrole et du gaz et de leurs réserves avant la fin des années 1980 ainsi que la fin de la croissance économique. Il y a toujours du pétrole et du gaz en réserves et le PIB mondial (dollars constants) a été multiplié par 4,4 depuis 1972 et 2,4 depuis 1990. La croissance a permis une hausse du niveau de vie général puisque, sur les mêmes références, la population mondiale a « simplement » doublé (depuis 1972) et pris 50 % (depuis 1990). Le raisonnement dit climatique est simple : ces performances de l’espèce humaine (car s’en sont bien) sont obtenues sur le dos des autres espèces et sur celui de l’avenir de tous. C’est évidemment vrai, mais seulement en partie, et dans des proportions qui ne peuvent être établies qu’à l’étude. Précisément le « discours climatique » pêche sérieusement de ce côté. Sans remonter aux lubies qui se voulaient scientifiques du Club de Rome, la création par l’ONU d’un groupe de pression n’aide pas forcément. Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) n’est pas un organisme scientifique, mais un lobby qui collecte des rapports qui sont scientifiques allant dans le sens des thèses que l’ONU et l’Organisation Météorologique Mondiale lui ont donné mission de défendre. Le doute scientifique est par nature absent dans une démarche d’influence, ce qui a pu aboutir à des positions extrêmes et à des affirmations qui ont pu être fragilisées par les faits. C’est cependant la mise en avant purement médiatique de discours de propagande sans base cohérente par Mlle Greta Thunberg qui a le plus mobilisé et, en conséquence, le plus décrédibilisé la démarche climatique. Cela ne retire rien à la nécessité de faire des bilans et, surtout, de se projeter pour fixer des objectifs aux conséquences de cette croissance démographique qui n’est pas cassée (on attend 10 milliards en 2080) et à ses conséquences en matière de croissance et de migrations.
La dernière opération de communication du GIEC a été de lancer une consultation publique sur les conséquences d’un scénario d’accélération du réchauffement. Sans chercher à avoir un caractère prédictif (ce serait le pire scénario de ses 5 trajectoires et pas le plus probable), le groupement demande ce qu’impliquerait une hausse de 4 degrés de la température moyenne en France. Au-delà du coup de com, c’est cette semaine que Mme Borne a défini son plan de décarbonation de l’économie française à échéance 2030. Un Secrétariat Général de la Planification Ecologique a préparé le plan présenté lundi à un Conseil National de la Transition Economique. On s’inscrit dans le schéma de notre admirable fonctionnement administratif ! Des leviers nombreux et qui se veulent concrets ont été déterminés. L’objectif est de réduire d’un tiers les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 ; faire en la matière en 8 ans aussi bien que durant les 30 dernières années pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris de 50 % de baisse par rapport à 1990. Le gros des efforts sera demandé aux transports, à l’industrie et au bâtiment qui dégagent plus des deux tiers des gaz visés. La voiture serait la grande sacrifiée, les gros sites industriels devraient faire des efforts élevés, les logements être profondément rénovés. Les chantiers sont très lourds, les leviers très divers et pas forcément évalués au stade actuel, malgré l’affirmation que la moitié est déjà amorcée ou activée. Mais la Première ministre annonce une mise en œuvre suivie à partir d’indicateurs et insiste sur le « travail d’équipe » en la matière de son gouvernement.
Reste la grande question : combien ça coûte ? Dans le même calendrier que celui de notre Première ministre en charge de la Planification écologique et énergétique, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective qui lui est rattaché a publié un rapport sur les incidences économiques des actions sur le climat. France Stratégie (c’est le nom raccourci du Commissariat) affirme que « la neutralité énergétique » est atteignable pour notre pays. En se plaçant sur une vision de long terme, il assure qu’il n’y aura pas durablement besoin de faire un choix entre croissance et climat. « A long terme, la réorganisation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’aurait été la croissance brune » estiment les rapporteurs parmi lesquels Jean Pisani-Ferri, souvent présenté comme l’économiste de M. Macron. A long terme, on a compris. Mais, comme Keynes le soulignait souvent « A long terme nous sommes tous morts ». Climat ou pas. A court terme le choix entre croissance et climat va s’imposer : c’est sur les échéances visibles que le travail de France Stratégie est plus concret. Pour atteindre les objectifs, ce sont 60 milliards d’euros d’investissements annuels supplémentaires qui seront nécessaires pendant 25 ans. Pas loin de 2 % du produit intérieur brut. Ces dépenses considérables ne vont pas produire de croissance, au contraire : le ralentissement de la productivité va peser sur l’activité. D’ici à 2030, M. Pisani-Ferri prévoit en conséquence 1 % de baisse du PIB effectif et des effets inflationnistes non chiffrés mais certains.
Ce choc violent pour des lendemains bien lointains devra être financé. Selon France Stratégie, 10 % à 20 % des 60 milliards annuels proviendraient des transferts venant des investissements « bruns » vers les investissements « verts ». Pour le solde, on ne sera pas surpris des recettes préconisées par nos hautes instances administratives : plus de la dette, plus d’impôts. Majorer la dette publique pour l’amener 125 % du PIB en 2030 et 150 % en 2050 est le premier axe. Rétablir de fait l’ISF par un prélèvement « exceptionnel » sur les patrimoines de 5 % au total sur 30 ans est la deuxième recette. Si on n’est pas surpris, on ne peut qu’être dérouté par cette nouvelle annonce de fuite en avant et d’appauvrissement qui vise à servir un objectif de moindre croissance pour les années qui viennent. Le travail de France Stratégie permet surtout de fixer les coûts économiques des engagements pris. Les objectifs de variation d’émissions de gaz à effet de serre par rapport à un niveau de départ sont en cause : les émissions de CO2 par français se montent à 30 % de ce qui est émis par un australien ou un américain, 53 % par un japonais ou un néerlandais, 56 % par un allemand ou un belge, seulement 60 % par un chinois. Nos investissements passés – en particulier dans le nucléaire – nous donnent des arguments pour ne pas partir dans le scénario économique un peu catastrophe dessiné par France Trésor sur la base des engagements de réduction et pas de masse d’émissions. Sans les capitulations devant le pressing allemand qui ont sacrifié une part de notre dispositif nucléaire, nous serions en meilleure posture encore. Ce qui n’empêche pas les tentatives d’affaiblir encore la position de la France comme les demandes de partition d’EDF ou de barrières aux investissements nucléaires, et, cette semaine encore, les barrages tentés pour le développement si nécessaire du fret ferroviaire.
L’avance française en matière d’émissions sera forcément utilisée pour limiter les dégâts, d’autant que les pays donneurs de leçons pour les finances publiques sont les gros pollueurs au sein de l’Union Européenne. Il faut pour cela que les dirigeants politiques sachent s’affranchir de ces superpositions d’administrations qui sont la marque de notre pays et qui semblent vouloir se montrer exemplaires dans tous les domaines, sans hésiter à sacrifier les intérêts du pays. Un dernier épisode cette semaine qui confine à la caricature. La Cour des Comptes n’est pas une administration créée ad hoc empiler nos administrations. Mais la juridiction financière qui s’est saisie des questions climatiques a cru bon de s’attaquer aux vaches et, finalement à la consommation de viande. Pour les hauts magistrats, la souveraineté de la France en matière de viande rouge serait préservée si elle était suivie dans sa préconisation de baisser le cheptel à condition que les consommateurs suivent les recommandations des autorités de santé de ne pas manger plus de 500 g de viande rouge par semaine. Certes, elle ne prévoit pas l’émission de tickets de rationnement, mais de quelle autorité dispose-t-elle pour vouloir régir nos assiettes ? La peur peut conduire à tout accepter, nous avons un maillage bureaucratique d’exception, mais « l’urgence climatique » n’en est pas encore là.