Le sommet qui s’est achevé jeudi dernier au Palais Brongniart ne manquait pas d’ambition. Il affichait l’objectif de mettre en place « un nouveau pacte financier mondial ». Le président français qui a pris cette initiative de réunion informelle et donc sans autre pouvoir que celui des échanges, avait retenu un ordre du jour qui donnait le ton : « sommet pour un nouveau pacte financier mondial ». Comme beaucoup de ce type de cénacles depuis des années, la référence aux accords de Bretton Woods qui ont fondé le système financier mondial au lendemain de la guerre est plus qu’implicite. La grande évolution depuis a été la suppression de la convertibilité du dollar en et des parités fixes entre monnaies en 1976 (accords de la Jamaïque). Pour le reste, et singulièrement pour les structures mises en place – Fonds Monétaire International et Banque Mondiale – Bretton Woods a fait fi des tentatives diverses de destruction. On a du mal à ne pas sourire à écouter des déclarations diverses présentant les défauts du système et proposant, un peu chaque pays de son côté, les fondamentaux du « nouveau pacte financier mondial ». M. Macron qui a porté l’initiative de cette ambition a affirmé que les institutions ne vont « sans doute plus assez vite » et ne sont « plus tout à fait adaptées ». Le président semble comme se caler sur la fameuse réplique d’OSS 117 : « changer le monde, changer le monde vous êtes bien sympathiques mais faudrait déjà vous levez le matin. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais le monde, il ne vous attend pas, le monde il bouge et il bouge vite ! ». Avec des nuances diplomatiques, le président ne dit pas autre chose. Mais, justement, le monde bouge et sans la cassure que l’ambition du sommet laisse entendre, les forces financières mondiales ont su s’adapter sans mettre en place une nouvelle bureaucratie.
Le sommet ouvert la semaine dernière se voulait un peu une séance de rattrapage de la COP 27. La dernière édition de la « conférence des parties » tenue à Charm El-Cheikh en novembre dernier n’avait pas vraiment permis d’avancer sur les ambitions des COP qui veulent renforcer des conventions internationales dans les domaines écologiques et climatiques. Les ambitions de leadership de M. Macron voulaient ainsi s’affirmer vis à vis des pays en voie de développement ou à faible revenu, particulièrement affectés par la géopolitique, les aléas du cycle économique mondial et des taux d’intérêt et la conjoncture de crises multiples. Le président français a bien résumé le sujet mis sur la table. Il n’est pas vraiment sérieusement question d’un nouvel ordre financier mondial, mais de trouver des moyens d’intégrer les pays émergents et en voie de développement dans une dynamique mondiale de convergence de croissance et, finalement de richesse, qui s’aligne sur les critères environnementaux des pays développés. Résumées ainsi, les ambitions peuvent apparaître limitées en matière de structures supranationales de gestion : la suzeraineté des Etats-Unis et des pays de l’OCDE n’est vraiment remise en cause ni au FMI, ni à la Banque Mondiale ou dans les structures de décisions, Organisation Mondiale du Commerce incluse. En réalité, l’ambition est très grande. « Jamais aucun décideur, aucun pays ne doit avoir à choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de la planète » a claironné le président. Cela tient évidemment de la quadrature du cercle
La question n’est évidemment pas neuve, mais justifie souvent la caricature qui en est faite : les pays développés veulent empêcher les plus pauvres de se rapprocher de leur niveau en leur imposant des contraintes, en particulier pour l’énergie, alors que précisément, c’est l’énergie qui a permis leur développement des deux derniers siècles. Le double défi d’en finir avec la pauvreté tout en acceptant des contraintes climatiques et de biodiversité demanderait, pour prendre les termes du discours final de M. Macron, de mettre les moyens financiers au service de cette double ambition. Pour mobiliser les liquidités, la France propose ce qu’elle aime faire le plus : lever de l’impôt. Les taxations internationales qui sont proposées sur les transports maritimes et aériens et sur les transactions financières sont une recette qui n’est pas nouvelle. La France n’a pas hésité à aller dans ce sens, sans être suivie et donc, sans que les capitaux dégagés soient à la mesure des ambitions ou même dépensées pour elles. Evidemment, présenter des options de ce type devant des responsables gouvernementaux des pays qui seraient bénéficiaires et peu contributeurs est plutôt confortable. Mais le consensus a bien des chances d’être de façade puisqu’il ne s’étend pas aux pays visés par cette aggravation de la pression fiscale.
La réalité des poids économiques et géopolitiques va évidemment toujours primer. Un des non-dits de l’organisation de la réunion du Palais Brongniart était de marginaliser la Russie, en créant une instance internationale sur invitation permettant de l’écarter alors que, bien que « s’étant mise en situation de ne pas respecter le droit international » elle reste évidemment partie prenante des institutions officielles. Pour autant, la France n’a pas retrouvé sa place de la troisième voie du temps de la guerre froide. Affirmer des truismes comme la nécessité d’une croissance sans effet sur l’environnement n’est évidemment pas suffisant pour qu’une reconnaissance générale mettre notre pays en position d’intermédiaire entre le Nord et le Sud. Les données réelles prennent forcément le dessus. Le premier émetteur mondial de CO2 , la Chine, 25,4 % du total, se dit toujours un pays émergent. Les pays de l’OCDE montent à plus de 30 % avec une population pas loin du même ordre. L’activité économique et sa dynamique se mesurent avant tout à la consommation d’énergie. La priorité de sortir les grands pays émergents du charbon – alors même que les pays riches sont loin de tous donner l’exemple – doit être mise en regard. Un chinois consomme 29.000 kw/h, un américain 73.500 kw/h. La moyenne de la zone euro est de 39.000 kw/h. Expliquer aux Nigérians (2.500 kw/h), aux Indonésiens (7.900 kw/h) ou aux Indiens (6.500 kw/h) qu’ils doivent faire preuve de modération n’a évidemment pas de sens. Les pays qui consomment, comme les Chinois, à peine plus que la moitié de la moyenne OCDE, qu’ils soient en Afrique du Nord et au Proche-Orient, en Amérique latine, ou en Asie de l’Est ne seront pas prêts à renoncer à se rapprocher de nos standards de niveau de vie.
Bien sûr, la difficulté des défis ne doit pas empêcher de tenter de les relever. Le sommet de la semaine dernière ne pouvait pas sortir d’un scénario des constats, des imprécations et des demandes de fonds. Ses visées géopolitiques de marginalisation de la Russie dans le monde hors OCDE qui est au mieux neutre dans le conflit d’Ukraine et dans certains cas en soutien, n’ont pas semblé très réussies. Les désordres internes à la Russie ce week-end ont sans doute fait davantage, mais M. Macron qui avait demandé une invitation au sommet des BRICS d’août en Afrique du Sud a été éconduit. L’unité du groupe Brésil – Russie – Inde – Chine – Afrique du Sud, a prévalu. La conférence à Paris s’est finalement plus inscrite comme une préparation de la COP 28 de décembre à Dubaï que comme un rattrapage de la COP 27. Mais le discours de la méthode est là pour éviter que les contraintes climatiques que s’imposent les pays développés soient annulés et au-delà par les nécessités de croissance sur reste du monde. Pour cadrer un peu la progression des gaz à effet de serre qui y est inéluctable, la finance va être soumise à une sorte « d’en même temps » : le bâton avec une fiscalité mondiale qui va être bien laborieuse à mettre en place même à la marge, la carotte en partie fiscale pour que les investissements publics mobilisent et se multiplient par des investissements privés. C’est jouable au moins en partie. Mais les investissements privés iront là où ils trouveront un retour. Ces retours seront liés à la croissance locale, donc à la consommation d’énergie. La pression migratoire est sans doute, plus que tous les sommets, un autre facteur montrant la nécessité impérieuse du rattrapage de consommation d’énergie. L’équation va prendre un peu de temps avant d’être résolue.