La photographie des marchés boursiers donnée par les indices a de quoi susciter chez les investisseurs des interrogations ou des inquiétudes. Les performances des fonds d’investissement ou plus directement celles de beaucoup de portefeuilles ont bien du mal à se situer dans des zones qui soient comparables. L’observation n’est pas nouvelle, mais sa mesure interroge particulièrement dans le profil actuel des marchés d’actions. Elle pose spécifiquement des questions sur la mesure de la hausse et du prix relatif des marchés, sur une divergence entre les indices vedettes et une mesure plus large de la valorisation des actions, sur la diversification, la gestion du risque et son coût.
Les évolutions des marchés sur six ou même douze mois s’inscrivent dans un vrai paradoxe : forte hausse des taux courts répercutée pour une part sur les rendements obligataires longs et, en parallèle, progression des Bourses. Les billets du Trésor américain à 1 mois affichent un taux de 5,2 % contre 1,2 % il y a un an et 4 % au début de l’année ; le rendement du T-Bond à 10 ans, stable sur six mois, est passé en un an de 2,87 % à 3,83 %. L’indice MSCI Monde progresse de 12 % sur 6 mois et 13 % sur un an. Le S&P 500 a gagné respectivement 14 % et 15 % sur les mêmes périodes. La progression des Bourses ne prend pas la mesure de la hausse des rendements du court terme. D’une part les rendements longs sont inférieurs aux courts (hiérarchie des taux inversée), d’autre part une double anticipation joue sur les cours des actions. Les évaluations se comparent avec les taux à 10 ans (prime de risque) et subissent ainsi une pression inférieure à une simple mise en perspective des taux directeurs. Cela limite l’effet de recul des actions mais ne l’efface pas. La double anticipation des investisseurs concerne une baisse future des taux longs grâce à une inflation qui se réduirait et des progressions de bénéfices dans les deux à quatre ans. C’est un peu contradictoire : la courbe inversée annonce une récession ou une croissance très faible de l’économie, donc des bénéfices des sociétés. Ce qui est en tout cas avéré, c’est que la hausse est celle des multiples d’évaluation. C’est le facteur de progression des actions américaines. Le PER 2023 du S&P 500 s’est renchéri de 10 % depuis janvier, bien en avance sur des hausses de profits à venir.
Les ratios moyens ou cumulés doivent être sérieusement nuancés. Les 5 plus grosses capitalisations américaines - Apple, Microsoft, NVIDIA, Alphabet et Amazon – ont fourni plus de 75 % de la hausse de l’indice S&P 500. Elles gagnent plus de 40 % depuis le début de l’année, contre les 14 % de l’indice et moins de 3 % pour les 495 autres compagnies de l’indice. Les analystes de Dorval AM font une observation similaire pour l’indice MSCI Monde (1507 actions) : les 10 premières ont progressé de 13,5 % en six mois, le reste de 6 %. Les géants de la Tech américains dégagent ainsi un ratio de capitalisation des bénéfices de 29 fois, ce qui est 50 % supérieur à la moyenne des sociétés composant l’indice S&P 500. Même genre de constat pour le CAC40 : 5 sociétés -Sanofi, Total Energies, LVMH, Kering et Schneider Electric – ont contribué à la moitié de la hausse du semestre. 3 sociétés du luxe - LVMH, L’Oréal et Hermès - pèsent près de 40 % du CAC 40. Ces concentrations qui constituent des records historiques ont poussé encore cette année ce qu’on appelle la gestion passive – en tout cas indicielle – alors que les gestions actives de choix des valeurs se retrouvent en majorité à la traîne. La hausse n’est pas celle des actions mais seulement de certaines.
La comparaison entre les deux types de gestion est étudiée de longue date et la montée en puissance des certificats ETF qui répliquent des indices l’a rendue de plus en plus recherchée. Porté par un rythme mensuel de collecte de plus de 40 milliards de dollars, l’encours mondial des ETF approche aujourd’hui 10.400 milliards de dollars : la gestion dite passive dépasserait légèrement la gestion active. Les frais prélevés jouent évidement en faveur de la gestion indicielle automatisée, mais, sur longue période, net après frais, les ETF présentent encore des résultats annuels inférieurs de 1 à 1,5 % à ceux de la gestion active. Evidemment, les écarts à la moyenne ne sont pas les mêmes et, surtout, l’analyse longue ne s’applique pas dans la conjoncture de certaines périodes. La concentration actuelle de la performance sur les poids lourds des indices favorise la gestion passive. En sens inverse, elle augmente le risque : investir dans un ETF revient essentiellement à acheter les plus grosses sociétés des indices. La concentration est aussi celle du risque quand la gestion active a pas mal le nez sur le contrôle de la volatilité. C’est tout particulièrement le cas aujourd’hui avec les géants technologiques américains. Ce n’est pas la première fois qu’une révolution technologique créé des anticipations financières qui peuvent aller jusqu’à l’excès. Les mines de charbon, les compagnies de chemin de fer, les constructeurs automobiles, ceux d’avions et - en 2000 - les TMT ont attiré à leurs débuts les capitaux à la hauteur des potentiels, conduisant finalement à des explosions de bulles dans certains cas, à des rachats à prix cassés des perdants par les gagnants dans d’autres. La captation des investissements n’a cependant jamais été aussi puissante. La financiarisation des économies, multipliée par la fuite en avant monétaire des cinq dernières années l’explique. Les potentiels des métiers numériques amplifiés par la croissance à venir de l’Intelligence Artificielle ou la poursuite de l’augmentation des nouveaux riches dans le monde vont encore porter les poids lourds des Bourses. Mais la transmission à l’économie réelle sera nécessaire et est inéluctable.
Ce qui est finalement en cause, sur la base des indices pondérés par la capitalisation des sociétés qui les composent, c’est la remise en cause de la diversification. C’est une vertu cardinale de le gestion financière de long terme, mais ce n’est pas toujours le cas pour le court terme. Dans les bulles précédentes des révolutions industrielles et technologiques, il fallait choisir le bon cheval. On peut dire avec les géants de la Tech que les bons chevaux sont déjà choisis et qu’ils ont la puissance financière pour mettre la main sur leurs concurrents potentiels. Ainsi, dans les dernières années, ce qui était risqué c’était plutôt de ne pas prendre le risque de la concentration. La gestion passive des ETF indiciels a été gagnante et ne pas la suivre a été en quelque sorte un prix à payer pour limiter les risques. Bien sûr, le vent va tourner mais il en est un peu des poids lourds des indices vis à vis du reste de la cote ce qu’il en est de Wall Street vis à vis des Bourses européennes : elles surcotent, mais entrainent l’ensemble quand elles corrigent. Un repricing des Gafam ferait des dégâts, même atténués, sur l’ensemble de la cote. Pour autant la montée du risque liée à la concentration doit conduire à équilibrer les portefeuilles en s’affranchissant pour une part des indices, donc de sociétés peu nombreuses. L’indice Dow Jones n’a pas été conçu par des intermédiaires pour générer des profits d’arbitrage comme les SP&P, le CAC 40 ou le DAX. Il est peut-être l’indicateur à suivre. Son calcul est une simple addition des cours des actions, avec une gestion des nominaux : +2 % depuis le début de l’année et +9 % en un an sont des scores qui restent satisfaisants avec des risques tout de même plus contenus.