Les réunions des comités de politique monétaire de la Réserve Fédérale américaine semblent dicter les tendances des marchés financiers de façon plus directe que dans la plupart des périodes. Elles sont aussi plutôt directives pour celles de la Banque Centrale Européenne, au-delà des débats qui sont constitutifs de la zone monétaire sans politiques économiques budgétaires, sociales ou fiscales communes. Cette semaine, les deux instances de gestion de la monnaie se réunissent pour clore finalement le 1er semestre. En cause : les analyses des effets des hausses de taux directeurs, le diagnostic inflationniste et celui de l’évolution du cycle économique. Dans les salles de marché et du côté des investisseurs grands ou petits, une rumeur qui est peut-être aussi un espoir circule assez largement : et si les hausses de taux directeurs qui se profilent cette semaine étaient les dernières ?
La Réserve Fédérale a laissé à zéro ses taux directeurs à la sortie des blocages Covid jusqu’en mars de l’année dernière. La hausse depuis a été d’une ampleur et d’une rapidité exceptionnelles : dix relèvements successifs ont amené en mai dernier l’objectif de rendement des fonds fédéraux entre 5 % et 5, 25 %. La vigueur du resserrement par les taux est comparée à celle de l’ère Volker de la fin des années 1970 et du début des années 1980. La Banque Centrale Européenne a suivi avec un décalage. Ses taux directeurs ont été relevés depuis un an pas moins de huit fois, amenant le taux de dépôt à 3,5 %, ce qui marque une hausse de 4 % en 11 mois puisque le point de départ se situait à -0,5 %. Il n’est pas facile de dresser un bilan des conséquences directes de cette politique d’exception. Les déficits budgétaires amplifiés du fait des plans de relance et d’investissement des deux côtés de l’Atlantique ont joué en sens inverse dans des proportions qui ne sont pas forcément chiffrables. Les politiques de liquidité monétaire ont par ailleurs été loin d’être aussi vives que celles des taux directeurs. Après l’explosion des bilans des banques centrales – multiplication par plus que deux du printemps 2020 à l’été 2022 – la Réserve Fédérale affiche un grand attentisme pour reprendre des liquidités et la BCE en est encore au début d’une action en ce sens. Les programmes d’achats d’urgence mis en place en mars doivent déboucher au mieux au second semestre en 2024 sur la fin des réinvestissements des retombées obligataires alors que celui d’achats d’actifs doit être allégé sur un modeste rythme de 15 milliards d’euros par mois à partir de ce mois de juillet. En tout état de cause, les consensus absolus au sein des comités de politique monétaire se sont effrités. A la BCE, la réduction du bilan est une monnaie d’échange face au « groupe allemand » pour les partisans d’une pause dans les hausses de taux directeurs. Les débats sont en tout cas assez ouverts des deux côtés de l’Atlantique entre les partisans de hausses continues des taux directeurs tant que l’inflation n’est pas jugulée et ceux d’une pause au moins pour apprécier les résultats des relèvements depuis le printemps 2022
Le sujet du moment est ainsi de chercher à chiffrer les effets sur l’inflation des stratégies de taux des banques centrales. Depuis le pic de l’été dernier, le rythme d’inflation a été divisé par deux en Europe et par trois aux Etats-Unis, mais il est loin des objectifs et se situe même toujours à plus du double des objectifs de stabilisation à 2 % Ainsi, l’inflation de base des consommateurs américains (indice PCE) qui est la plus suivie par les spécialistes de la Réserve Fédérale se situait toujours à 4,6 % en juin. Dans la zone euro, l’inflation sous-jacente (hors alimentaire et énergie) atteignait encore 5,4 % en juin. Cette réduction – insuffisante - de l’inflation est avant tout due à la réduction ou même l’éradication des chocs d’offre qui l’avaient produite. Les conséquences de la guerre d’Ukraine sur les matières premières et l’énergie en partie corrigées et la normalisation des goulets des chaînes de production sont les moteurs les plus puissants. Les resserrements monétaires qui se manifestent avec des délais semblent avoir simplement accompagné le contre-choc, avec l’exception notable des marchés de la construction et de l’immobilier résidentiel aux Etats-Unis. La résilience de l’inflation est de fait celle du marché du travail et celle de la consommation. Ce qui reste à évaluer est sans doute, plus que les effets retards des hausses de taux directeurs, l’adaptation qui, elle, est quasi- immédiate des agents économiques aux évolutions. Le monde connecté résiste ainsi aux politiques monétaires restrictives comme il le fait aux écarts de prix sur les marchés des biens et services.
Les scénarios des comités de politique monétaires de jeudi et vendredi sont établis : des deux côtés de l’Atlantique un nouveau relèvement de 0,25 % des taux directeurs devrait être annoncé. Les perspectives dessinées après les réunions, après sans doute des débats plutôt discutés, constituent la vraie attente des investisseurs. Les partisans d’une pause semblent plus forts au sein du comité de la Réserve Fédérale que de celui des gouverneurs de la BCE. Cependant, dans les deux cas c’est la pertinence de l’arme des taux en matière de lutte contre l’inflation qui renforce les clans d’une fin de partie pour les hausses de rendements. Le risque de décrochage des économies est un argument qui apparaît plus discuté, malgré des indicateurs avancés qui annoncent une inflexion du cycle qui s’accroît. Au-delà des positions un peu écrites d’avance des uns et des autres, en particulier en Europe, les marchés financiers se sont positionnés en pariant sur une fin des hausses de taux de la Fed et de la BCE. La der des ders cette semaine comme l’ancien patron de la Fed Ben Bernanke l’a envisagé ? C’est loin d’être certain, mais on attend de M. Powell mercredi et de Mme Lagarde jeudi des indications précises sur les intentions des mois à venir jusqu’à la fin de l’année. Cependant, même si la pause durable sur les taux directeurs est finalement bien au rendez-vous, la persistance de leur maintien dans les niveaux élevés actuels ne fait guère de doute. Les marchés seraient déçus que cette pause ne soit pas annoncée. Mais ils n’espèrent plus de la part des banquiers centraux un calendrier de baisses.