La dégradation de la nôtre de la dette fédérale américaine par l’agence de Fitch a moins compté la semaine dernière dans les salles de marché et aux yeux des investisseurs que les données générales de l’économie américaine. Les faits plus que la médiatisation en quelque sorte. Les premiers gagnent encore en influence financière quand le coup de Fitch ne semble pas avoir fait progresser une vision normative des actifs financiers.
Fitch – qui a un temps été contrôlée par Fimalac - est la troisième agence de notation financière mondiale, derrière S&P Global (ex Standard & Poor’s) et Moody‘s. Cette position d’outsider semble avoir donné à ses équipes un certain goût pour des annonces médiatiques. Ainsi, elle avait ramené fin avril la note de la dette française de AA à AA-. Elle a réitéré en tapant plus haut: mardi dernier, c’est la dette fédérale américaine qui s’est trouvée dans le viseur. La note a été dégradée du meilleur niveau de AAA à AA+.
Les analystes de l’agence de notation ont justifié par les procédures budgétaires cette décision qui rejoint celle de Standard & Poor‘s depuis 2011. Moody’s a maintenu la note maximale aux Treasury Bonds. L’équilibre institutionnel américain impose en matière budgétaire un accord entre chacune des chambres (Séant et Représentants) et l’administration présidentielle. Le principe d’un plafond de la dette fédérale qui contraint le pouvoir exécutif remonte à la première guerre mondiale, mais la question de son relèvement s’est imposée comme un feuilleton à répétition depuis le milieu du XXème siècle. Depuis le mandat Kennedy, c’est à 80 reprises que la procédure a due être utilisée pour éviter le blocage des administrations ou tout au moins un blocage prolongé.
Les deux partis sont condamnés à des compromis : la fermeture du secteur public aurait des conséquences qu’aucun ne peut prendre le risque de se voir attribuer. Le plafond de la dette est finalement toujours relevé : le président et son parti doivent faire des concessions sur le montant, mais aussi sur la structure des dépenses ; l’opposition cherche à marquer des points pour les élections à venir.
Les arguments des spécialistes de Fitch qui estiment la dette américaine moins crédible en raison « des impasses répétées sur le plafond de la dette », ainsi que des « affrontements politiques et les résolutions de dernière minute qui ont érodé la confiance dans la gestion budgétaire » ne sont pas facile à comprendre. C’est le fondement même des Etats-Unis, de leurs institutions et de la démocratie parlementaire qui est en quelque sorte dénoncée.
On ne peut qu’observer que, davantage que la dette américaine, c’est la crédibilité des agences de notation financière qui a besoin d’être reconstituée. Mois après mois, l’indicateur retardé que leurs notes constituent pour des entreprises qui décrochent leur retire pas mal de leur autorité. Bien au-delà de très grosses affaires à répétition ont montré leurs limites et mis en cause leur rôle. Dans les années 2000, la déconfiture d’Enron ou celle de Parmalat ont affecté des sociétés qui étaient bien considérées. Le sommet a cependant été les notations des montages de dérivés de crédit hypothécaires qui on entraîné la crise de 2007-2008, avec des défaillances bancaires, ses dégâts dans la population américaine, et, pour, finir une crise économique mondiale. Les risques sans contrainte de la finance avaient gagné la sphère réelle.
D’une certaine façon, dans ces cas, le système de rémunération des agences de notation pouvait permettre de comprendre leur inefficacité. Ce sont les sociétés qui paient les spécialistes qui sont appelés à juger leur solidité ; dans le cas des subprime de 2007, ce sont les banques réalisant les montages qui les rémunéraient. Mais pour ce qui concerne les notes des Etats, ce n’est pas le cas : les agences effectuent une mission qui a quelque chose de service public – et se font de la publicité- en les notant.
Ce sont les agences de notation qui ont failli faire sauter l’euro en attribuant des notes fantaisistes à la Grèce dans les années 2000. Aujourd’hui, Fitch fait un coup en dégradant les Etats-Unis.
La nouvelle est plus ridicule qu’autre chose. Les Etats-Unis ont la première armée du monde et, encore ces jours derniers, ont montré qu’ils pouvaient diriger depuis leur territoire des bombardements en Russie même. La capacité de battre monnaie est une question de souveraineté et les Etats-Unis ont la puissance. La puissance économique vient ensuite et la prééminence du dollar sanctionne les deux aspects. La monnaie américaine pèse pratiquement 60 % des réserves de change mondiales et un peu plus de 50 % des transactions commerciales mondiales.
Il faut de plus admettre les conséquences de la géopolitique comme des stratégie des institutions de finance internationales : les devises européennes – la livre sterling et, surtout, l’euro – sont vassales du dollar comme les pays qui émettent ces monnaies le sont militairement au sein de l’OTAN. Les Etats-Unis sont aujourd’hui le grand gagnant économique et politique de la guerre d’Ukraine et, plus qu’une analyse des procédures au Senat et au Congrès, on attendrait des agences de notation qu’elles considèrent que les fondamentaux d’une monnaie et d’une dette publique ne tiennent pas seulement à des ratios.
Les beaux rations des dettes AAA de la Suède, du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas, de l’Allemagne, du Luxembourg et même de la Suisse, de l’Australie ou de Singapour ne vaudraient pas lourd si le Trésor américain devait faire défaut.
Il est donc assez normal que les marchés financiers ne réagissent pas aux décisions des agences de notation concernant les dettes souveraines.
La semaine dernière, ce sont les données économiques et pas l’affaire de la note américaine qui ont provoqué une consolidation des actions et des obligations. L’emploi et les perspectives de croissance montrent bien les dividendes que les Etats-Unis peuvent tirer de la guerre d’Ukraine : un cycle qui se prolonge avec une inflation qui ne se réduit que très progressivement. En face, les pays de la zone euro qui sont loin d’être gagnants de la géopolitique doivent cumuler ralentissement de l’activité qui gagne et une inflation plutôt persistante.
En matière financière, les faits comptent plus que les notes et cela va durer.