Le président des Etats-Unis a tenu la communication de la prise en compte des conditions climatiques actuelles à l’occasion d’une tournée en Arizona. Il a annoncé la création d’un « monument national » autour du Grand Canyon. Le classement du site de 400.000 hectares entre en quelque sorte en résonance avec le monument national de la Vallée de la mort distant (à vol d’oiseau) d’un peu plus de 400 Km, créé en 1933, et qui s’étend aujourd’hui sur 13.600 km².
C’est une fin de nouvelles autorisations d’extractions d’uranium qui est l’élément le plus concret du nouveau classement donné au Parc National du Grand Canyon dont la création remonte à 1908. Au-delà, M. Biden a cherché à marquer les esprits pour mettre en avant sa politique générale en se mettant en scène sur un site faisant partie des merveilles du monde au sens du classement de l’UNESCO.
Le programme général a été présenté par le président à la fin du mois de juin et l’opération Grand Canyon en est un passage médiatique. M. Biden a fait part de ses doutes sur les politiques de l’offre et le soutien aux hauts revenus et gros patrimoines, lançant même « je suis las d’attendre le ruissellement».
Quatre axes stratégiques ont été retenus par les équipes de la présidence: des investissements publics, la situation des salariés, la lutte contre les abus de positions dominantes, l’assainissement des finances fédérales. Evidement, mener à bien à la fois ces quatre axes pourra relever de la quadrature cercle. Mais on ne pourra pas taxer le président de manquer d’ambition.
L’investissement public est protectionniste. Il cible évidement les infrastructures classiques qui ont de gros besoins de réhabilitation, mais aussi les infrastructures numériques qui, aujourd’hui, ont pas mal de trous sur le territoire. Enfin, le soutien aux industries de décarbonation. Depuis deux ans 5.000 milliards sont annoncés au travers de l’Infrastructure Investment and Jobs Act (IJA), de l’Inflation Reduction Act (IRA), et le CHIPS Act (semi conducteurs). Et, sans que l’on puisse parler de levier, les entreprises suivent et l’investissement productif américaine ressort nettement au-dessus de sa tendance des deux premières décennies du siècle.
Du coté social, M. Biden veut rétablir et même rééquilibrer un dialogue entre entreprises et salariés Le schéma est de s’appuyer sur des syndicats soutenus pour être plus puissants de façon à renforcer le pouvoir de négociation des salariés face aux managements. Le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, favorisé au profit du premier depuis plus de 30 ans, s’accompagne dans la vision présidentielle d’un relèvement du taux de participation de la population, ce qui passe par des plans de formation,. Malgré le plein emploi apparent, il y a une nombreuse population éloignée de l’emploi. Le taux de participation plafonne autour de 72 % de la population de 15 à 64 ans contre 73 % en 2019 et 75 en 2000 (1)
Les constitutions de monopoles se sont accélérées depuis 20 ans. L’administration Biden a marqué des points cette année face à la Big Pharma et veut s’attaquer, bien sûr aux marges des géants de la Tech, mais aussi à celles des banques et des plateformes de commercialisation de services.
Améliorer les finances publiques avec un tel programmes de dépenses relève un peu d’un acte de foi. En premier lieu, celui d’obtenir des parlementaires une hausse des prélèvements par le biais d’une fiscalité plus progressive taxant les hauts revenus et les entreprises les plus rentables. Ensuite et surtout, en pariant sur les effets de recettes des trois premiers axes, en raison de créations d’emploi, de hausses des rémunérations et de la valeur ajoutée produite dans le pays.
La communication a baptisé ce programme de Bidenomics. C’est une référence explicite aux Reaganomics mis en place par Ronald Reagan de 1980 à 1988. Inspiré par la théorie néolibérale et monétariste de l’école de Chicago et, en particulier par Milton Friedman, prix Nobel 1976, Reagan avait radicalement rompu avec les thèses keynésiennes ou néo-keynésiennes en mettant en place une politique de l’offre basée, justement, aussi sur quatre piliers : coupes dans les dépenses publiques ; abaissement des taux d’imposition sur les tranches supérieures et les plus values; suppression de contraintes règlementaires et réduction de l’inflation.
La croissance a été au rendez-vous de cette politique basée sur des déficits publics, avec un creusement des écarts de revenus. Quand il dénonce le ruissellement qui n’a pas permis que l’enrichissement des plus riches finisse par enrichir les plus modestes, M. Biden propose un demi tour. « Le America is back again » de M. Reagan est en quelque sorte dénoncé par cette version du « Restore the american dream » du président d’aujourd’hui.
C’est une véritable contre-révolution économique qui est annoncée pour faire renaître le rêve américain. La sélection des investissements, l’aide aux petites entreprises pour restaurer leur compétitivité et le renforcement de la classe moyenne veulent dessiner une nouvelle Amérique. Le recours aux finances publiques pour déclencher une dynamique, en particulier manufacturière, et relocaliser tous azimuts se compare volontiers au New Deal de Franklin Roosevelt mis en place à partir de 1933. Le financement des infrastructures internet se veut ainsi comme un réplique à l’électrification massive des années 1930
Un tel tournant à 180 degrés alors que les politiques Reagan-Thatcher n’ont fait que se poursuivre et même se renforcer depuis 25 ans au gré de crises diverses n’est pas facile à analyser. Il faut imaginer une sortie au moins partielle du néolibéralisme dans un monde économique par ailleurs redistribué par la Chine et l’Inde et par la nouvelle étape de la révolution numérique
C’est donc un projet d’entrée dans un monde nouveau qu’il faut chercher à anticiper D’une certaine façon les deux partis politiques américains sonnent la fin du mythe de la mondialisation heureuse. A court terme, les Bidenomics en restent à une stimulation de l’économie américaine par le biais des déficits publics. La différence avec les programmes des Républicains est d’affecter ces déficits à la dépense plutôt qu’à des réductions d’impôts. Le néolibéralisme l’a surtout été depuis 40 ans dans la liberté donnée aux acteurs économiques, mais pas dans une recherche d’orthodoxie budgétaire. Ainsi les programmes de M. Biden ne brisent pas une fuite en avant budgétaire et ne l’accélèrent même pas., en visant même une réduction à terme des déséquilibres.
En revanche, le retour de réglementations pour les industries et les services et les dépenses d’aspiration sociales changeraient la donne d’autant qu’elles s’accompagneraient de hausses d’impôts frappant les plus riches et les sociétés les plus rentables
A vrai dire, on peut douter de la volonté réelle du président de transformer les Etats-Unis. M. Biden a siégé 44 ans au Sénat, y compris de 1980 à 2017 et a ainsi largement participé à la mise en place de cette politique du ruissellement qu’il dénonce aujourd’hui ÒLes Bidenomics ont tout d’un montage de programme pour le scrutin présidentiel de 2024 défini par des stratèges électoraux.
L’enjeux assumé est la conquête de l’électorat des classes moyennes, en particulier les « pauvres petits blancs » qui forment une base des électeurs Trump. Annoncer la mobilisation des budgets publics pour créer une dynamique privée et la construction d’usines là où la politique de l’offre avait déclassé les zones industrielles, c’est précisément vouloir changer la structure de l’économie au bénéfice de la classe moyenne
Elle reste à convaincre et les sondages montrent le déficit de crédibilité de l’administration présidentielle en comparaison avec Donald Trump. Certes, ce dernier qui n’a pas craint de faire monter les déficits budgétaires, apparaît mal placé en dénonçant « la plus forte inflation depuis des décennies » qu’il attribue « à Joe Biden et au Congrès démocrate ». Mais sa crédibilité économique dans l’électorat reste très forte.
En plaçant dès aujourd’hui la campagne de l’année prochaine sur le plan économique et même d’une contre-révolution économique, M. Biden se place dans un héritage Roosevelt. Il doit d’abord convaincre les Américains que la situation actuelle est bien meilleure que le ressenti. Il doit avoir un peu de chance en évitant d’avoir un discours et un bilan cassés par une récession ou une inflation persistante dans les 12 mois qui viennent.
Le New Deal de 1933 avait été bâti sur les dégâts de la crise économique qui ont fait accepter un forte influence de l’État. La sortie par le haut a été assez largement imputable aux retombées de la guerre. Dans les deux cas, la situation est – heureusement – loin d’être comparable aujourd’hui. Une campagne électorale dont les débats seront centrés sur le modèle de société, cela sera de toutes façons un retour de ce qu’on appelle chez nous l’idéologie.
De vrais enjeux après des décennies de consensus autour d’un néolibéralisme teinté de dettes publiques ?