Les marchés financiers se concentrent sur l'économie de trois grandes zones : les États-Unis, l'Europe et la Chine. À elles trois, elles contribuent à hauteur de 64 % au produit intérieur brut mondial. Dans les trois cas, l'été a été loin de confirmer les attentes. En revanche, il a confirmé la déconnexion des tendances conjoncturelles.
Les cycles qui se développent sans que l'interconnexion des économies ne suffise à les mettre en phase ont entretenu et entretiennent encore une réelle volatilité sur les marchés financiers, indépendamment de la tendance globale.
Cette tendance, selon le Fonds monétaire international, reste modeste mais pas nulle. Ses spécialistes tablent sur un score de 3 % cette année et l'année prochaine pour le PIB mondial. La stabilisation serait à l'ordre du jour, tant pour les pays développés (1,5 %, puis 1,4 %) que pour les pays émergents (4 %, puis 4,1 %).
Les 3 % confirmeraient le recul par rapport aux 3,5 % de 2022. C'est aussi un net déclin par rapport aux standards de plus de 4 % annuels des années 2000 à 2010 (hors les deux années de crise en 2001 et 2009). La sortie de l'épidémie de la Covid-19 n'a pas permis le rebond à la hauteur des précédents, malgré deux éléments qui jouent favorablement : la guerre et l'effort de guerre (pour les volumes) d'une part, et l'inflation (qui gonfle les chiffres) de l'autre.
Ce régime de croissance réduite qui s'installe est aussi une conséquence de la déconnexion des grandes zones. La démondialisation joue aussi en termes de cycles. C'est une évolution des fondamentaux, en particulier pour les trois plus importants contributeurs.
Les États-Unis contribuent pour 25,3 % au produit intérieur brut mondial et la politique de taux menée par la Réserve fédérale depuis 18 mois avait conduit à anticiper une phase de récession. Sans cesse repoussée par les conjoncturistes depuis le début de l'année, cette contraction de l'activité a aussi été, à des degrés plus ou moins forts, anticipée par les marchés obligataires. Les rendements du long terme inférieurs à ceux du court terme forment depuis la mi-2022 une hiérarchie dite de courbe des taux inversée qui est le plus souvent annonciatrice d'une récession.
L'été a apporté un nouveau – et vif – démenti aux scénarios de récession. La croissance du troisième trimestre va approcher ou atteindre 6 %, ce qui sera le meilleur niveau depuis 2 ans. La consommation des ménages reste le plus gros contributeur à la croissance, mais la production industrielle et les commandes ont également surpris à la hausse.
Le reflux de l'inflation, en particulier de l'alimentation et de l'énergie, redonne du pouvoir d'achat à des consommateurs qui peuvent tabler sur un marché de l'emploi qui n'a pas vraiment régressé et soutient les hausses de salaires. Les deux composantes ont assuré une hausse de 4,5 % du pouvoir d'achat sur un an, qui se retrouve dans le beau chiffre des ventes au détail de juillet (+0,7 % sur un mois). L'activité industrielle a rebondi après le repli de juin et les commandes de biens durables progressent fortement.
La politique monétaire basée sur les hausses de taux directeurs est une demi-réussite sur le plan de l'inflation qui reste à 4,7 % en juillet pour sa composante sous-jacente, mais ne semble pas avoir les effets négatifs attendus sur le plan de l'activité. La Fed ne va pas jusqu'au bout d'une normalisation et est bien prudente sur une réduction de son bilan. Mais ce sont surtout les soutiens publics, l'effort de guerre et l'Inflation Reduction Act qui prennent, avec une composante protectionniste renforcée, le relais des plans de Trump puis de Biden, et amplifient une dynamique interne qui ne tarit pas. La solvabilité financière et la pression exercée sur les taux à la consommation peuvent provoquer un décrochage brutal. Tant que les dépenses publiques seront là et les liquidités seront surabondantes, on ne le voit pas.
L'été a été moins rose de l'autre côté du Pacifique. La Chine semble s'enfoncer dans une déflation rampante. Là encore, les attentes ne sont pas au rendez-vous : les économistes, mais aussi les investisseurs, avaient parié sur une flambée de croissance après la levée des blocages sanitaires. Elle n'est pas là. On avait même craint des fortes poussées inflationnistes sous cette pression et sous celles du coût des approvisionnements. C'est l'inverse que l'on constate. En juillet, les prix ont accusé un repli de 0,3 % sur un an.
Le consommateur n'a pas été au rendez-vous : en juillet, les ventes au détail sont en légère progression de 2,5 % par rapport à juillet 2022. L'industrie ralentit ou stagne et les indicateurs avancés annoncent encore une contraction (manufacturière) ou une très faible progression pour le non-manufacturier.
C'est un réel changement de modèle que mène le pays en pleine crise immobilière qui ne se résorbe pas. La Banque populaire de Chine tente des soutiens semaine après semaine sans sembler faire davantage que d'encadrer une crise qui est réelle. Les nécessités de désendettement des ménages et des structures régionales parapubliques sont la priorité pour le Parti communiste qui n'a pas peur de se donner du temps pour assainir une économie aux fondamentaux très déséquilibrés.
Malgré une baisse du yuan qui se retrouve au plus bas depuis plus de cinq ans, les exportations ne repartent pas : les relocalisations se développent chez les pays clients.
Ainsi, la bonne tenue des marchés financiers est un peu déroutante : les ingrédients d'une déflation durable sont là sans que, comme cela avait été le cas au Japon après l'explosion de la bulle immobilière japonaise des années 1990, une politique monétaire ultra expansionniste et des déficits publics massifs ne semblent pouvoir l'enrayer.
Ce n'est pas la déflation qui menace l'Europe, mais la stagflation : faible croissance et inflation. La zone – en incluant le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège – pèse 21 % du PIB mondial. Les tendances de l'économie contrastent sévèrement avec celles des États-Unis.
La statistique de l'Union européenne a échappé à la récession dite technique avec un deuxième trimestre en légère expansion (0,3 %), venant après -0,1 % au quatrième trimestre 2022 et une stagnation pure pour les trois premiers mois de cette année. D'une façon générale, la consommation faiblit ou se stabilise difficilement. L'exception est l'Espagne qui, de fait, ne fait que suivre avec retard les fondamentaux post-Covid.
La croissance espagnole de 0,4 % au deuxième trimestre n'est bien qu'un rattrapage. Derrière l'Allemagne (croissance nulle), l'Italie et les Pays-Bas (-0,3 %), l'ensemble n'a pas de dynamique malgré les plans gouvernementaux d'investissement. Les investissements en infrastructures ne compensent pas la contraction de la construction. Les hausses de taux produisent des effets de récession sur l'investissement comme sur la consommation, et la stabilisation ou le léger rebond de l'immobilier observé aux États-Unis ne se retrouve pas sur le Vieux Continent.
Les indicateurs avancés se dégradent nettement, alors que le soutien des déficits budgétaires ne semble pas pouvoir s'accélérer beaucoup. Dans le même temps, l'inflation est persistante : le recul conjoncturel n'a pas freiné l'inflation structurelle qui s'est établie à 6,6 % en juillet et vise encore 4,5 % à la fin de l'année dans la meilleure des hypothèses.
Les trois grandes zones suivent des trajectoires bien distinctes qui ne semblent pas pouvoir converger. Les politiques monétaires ont montré leurs limites : insuffisantes pour casser la dynamique américaine, impuissantes pour relancer la machine chinoise, plus efficaces pour ralentir l'économie européenne que pour y réduire l'inflation. Les fondamentaux démographiques portent en eux les évolutions divergentes, de même que ceux des finances publiques et privées, mais c'est peut-être la réalité géopolitique qui pèse le plus.
Les États-Unis font (une nouvelle fois) la guerre loin de leur territoire, en encaissent les dividendes en matière de croissance et affirment ainsi les forces propres à leur économie : primauté de la valeur ajoutée produite dans le pays, maîtrise des coûts de l'énergie, dollar toujours dominant.
Les délais de la transmission des hausses de taux à l'économie peuvent déboucher sur une rupture, mais elle ne se reflète pas dans les indicateurs : les services aux États-Unis et au Japon sont les seuls secteurs de l'OCDE à présenter des indicateurs PMI des directeurs d'achat supérieurs à la neutralité de 50 points.
Les conjonctures chinoises et européennes ouvrent la voie à de nouvelles baisses de taux directeurs (pour la Banque populaire de Chine), et il y a peu de relèvement à prévoir pour la BCE. La Réserve fédérale américaine n'a pas de raison d'aller beaucoup plus loin dans les hausses.
Les excès de liquidités soutiennent les prix des actifs financiers et vont continuer à le faire. Cependant, les potentiels sont largement entamés à un moment où le calendrier électoral américain, mais aussi les études théoriques des économistes, ouvrent la voie à une politique de la demande et à un nouvel équilibre du partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail.