Les élections italiennes, puis la mise en place d'une coalition des extrêmes soutenant un gouvernement installé le 1er juin dernier avaient suscité bien des débats et des polémiques d'ordre politique. L'été permet de dépasser les spéculations du printemps et la réalité du pouvoir exercé par les ministres du gouvernement Conte – peut-être davantage que par le président du Conseil lui-même – s'affirme progressivement. Les Italiens, les partenaires européens, les marchés financiers entrent dans le dur.
L'orthodoxie budgétaire a été sanctionnée dans les urnes et un virage (enfin) favorable à la croissance s'est imposé
Le débat budgétaire qui s'est ouvert cette semaine est central pour les européens dans leur ensemble.
L'Italie est un pays surendetté – plus de 130 % du produit intérieur brut – qui a payé très cher en termes de croissance la politique d'orthodoxie budgétaire menée depuis le milieu des années 1990. La gestion s'est traduite dans la période par un excédent budgétaire primaire : hors charge de la dette, les recettes ont été maintenues à un niveau supérieur aux dépenses, avec à peine un petit creux (0,8 % du PIB) en 2008. À la pression fiscale qui a assuré ce résultat, s'est ajoutée la surévaluation de la monnaie depuis l'instauration de l'euro. L'Italie est le grand perdant de la monnaie unique : en devise constante, le produit intérieur brut de 2016 était le même que celui de 2000. En euros courants, le revenu par habitant est encore inférieur aujourd'hui à celui de 2000.
La sanction des urnes n'est pas le fait du hasard. C'est en respectant le cadre de la fameuse Troïka (FMI, BCE et Commission Européenne) que l'Italie s'est progressivement installée dans ce cycle d'appauvrissement, en particulier par rapport aux deux autres grands de la zone euro, la France et l'Allemagne. Le mix politique monétaire et fiscal a joué à plein et la puissance exportatrice du pays n'a pu que limiter les effets d'une gestion interne récessionniste.
Le programme commun passé en juin entre les extrêmes du mouvement 5 Étoiles et la Ligue découle de la sanction des budgets d'austérité et des réformes libérales par les Italiens. La question migratoire et l'absence totale de vision européenne sur le sujet a compté évidemment. Mais la question économique et un virage (enfin) favorable à la croissance a pesé sans doute autant. Le contrat de gouvernement comprend des baisses d'impôts, des dépenses publiques et des prestations sociales augmentées et une réforme coûteuse du système de retraite.
Le gouvernement pris entre son diagnostic – pas de croissance sans soutien budgétaire – et les fameuses règles de stabilité de l'euro
Les autorités supranationales, mais aussi pas mal d'économistes ou d'intervenants sur les marchés financiers ont prédit au gouvernement Conte un scénario à la grecque : les fondamentaux financiers auront le dessus et réduiront très fortement les ambitions de croissance.
La problématique est en effet sérieuse. Malgré un excédent budgétaire primaire de 1,5 % du PIB depuis 2015 et qui avait été initialement budgété à 1,9 % pour cette année, la dette reste excessive. 132 % du produit intérieur brut, un niveau pratiquement constant depuis 2015 : l'orthodoxie budgétaire et l'extrême rigueur économique ont seulement permis de stabiliser l'endettement malgré une conjoncture obligataire favorable.
Le déficit net, qui prend en compte la charge de la dette, se situait au-dessus de 2 % ces dernières années et visait 1,9 % pour 2018. Une application stricte du programme du gouvernement l'amènerait dans le négatif toutes choses égales par ailleurs, pour 4 à 5 %.
Le gouvernement italien se trouve pris entre son diagnostic – pas de croissance sans soutien budgétaire – et les fameuses règles de stabilité de l'euro. Les engagements des précédents gouvernements de réduction du déficit pour viser une réduction de la dette sont abandonnés. Les diverses déclarations des ministres concernés semblent cependant annoncer un déficit global qui serait contenu au-dessous des fameux 3 % de l'euro, peut-être un petit peu plus.
Cette voie moyenne ne satisfera pas les autorités de Bruxelles ou de Francfort, puisqu'elle ne permettra pas une réduction de la dette dans la conjoncture économique actuelle. Elle décevra les tenants d'une forte relance économique.
BRUXELLES ET FRANCFORT, PARIS ET BERLIN ONT PEU DE POUVOIR, MAIS UN DÉRAPAGE DU RENDEMENT DE LA DETTE EST LE GRAND RISQUE QUI ENCADRE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE
À l'analyse, on comprend qu'il s'agit plus de calmer les marchés que de mener l'action gouvernementale dans le respect d'une orthodoxie qui n'a pas vraiment réussi, ni sur le plan économique, ni sur celui de la dette. Le focus ne doit pas être mis sur la négociation avec Bruxelles. Le report à 2020 du revenu universel ou de la flat tax pour les particuliers étale la montée du déficit, mais ne remet pas en cause la tendance.
La stabilité monétaire affirmée par les ministres cette semaine n'empêchera pas que le solde primaire puisse se rapprocher progressivement de zéro, ce qui ne stabiliserait la dette qu’avec une croissance annuelle moyenne de 1,2 à 1,3 %. La voie est étroite pour le gouvernement, mais c'est ce qui va être tenté. On comprend que la négociation européenne est secondaire : le poids de l'Italie (15 % de la zone euro) et sa dette de plus de 2.000 milliards d'euros coince plus les Allemands et les Français qu'ils ne contraignent l'Italie. Quels que puissent être les niveaux des déficits, l’Italie trouvera ses refinancements, et ils resteront garantis par l'Union Européenne.
Ce qui contient ce gouvernement italien d'alliance apparemment contre-nature dans ses programmes de relance, ce sont des devoirs vis-à-vis des détenteurs de sa dette : ils sont italiens pour plus des deux tiers. Les assureurs et les banques cumulent 40 % de l'encours et, pour les banques italiennes, l'exposition approche 11 % de leur actif. On comprend que si le refinancement, même non conventionnel, est une obligation pour les institutions supranationales, ce gouvernement italien n'échappera pas à la dictature des taux de rendement de sa dette sur les marchés. Son budget ne peut supporter une charge en forte hausse et son système financier ne peut encaisser de fortes moins-values sur les concours publics. Le seuil de 3 % pour les emprunts d'État à 10 ans passé en fin de semaine dernière a été un avertissement et il a fallu les engagements depuis le 3 septembre pour ramener le rendement à 2,9 %, niveau qui reste un avertissement.
Ainsi, le débat budgétaire italien qui s'ouvre n'inquiète pas outre mesure les politiques européens, qui jugent qu'il est joué, et les paris qui vont être faits – plus de déficits pour plus de croissance – mais les marchés financiers vont devoir se convaincre que la croissance peut revenir sans que la dette dérape. Ils vont rester heurtés sur la question italienne.